(Le trou du Biniou est situé sur le torrent du Pont Rouge, au Stérou, à environ 8 kms du bourg de Le Faouët et 3 Kms du hameau de St Nicolas, sur la route de Priziac L'histoire de la disparition du biniou, noyé dans le torrent est un fait local authentique connu dans toute cette région).
Tu as beau dire Hervé, il y a bien des choses que l'on ne fait pas. Je sais bien que tu es un brave et que tu ne crois pas à grand chose, mais là, je suis sûre qu'il y a des audaces que tu n'aurais pas! Et ce disant le vieux Yann Kerroc'h se rapprochait du feu, comme si d'invisibles esprits rodaient dans les coins obscures de la grande salle de ferme.
L'interpellé, un beau gars dans la trentaine, qui avait<<bourlingué>> dix ans à l'Etat sur un peu toutes les mers, haussa les épaules et se mit à rire.
<<Allons,allons! Père Kerroc'h, dites-moi donc ce qu'il faut faire pour avoir si peur ? Si je suis pris, foi d'Hervé Moëllan, je paye la bolée à toute l'assistance, dimanche prochain au Faouët>>
Tout le monde se rapprocha, tant pour l'intérêt du défi que pour la bonne bolée en perspective.
-<<ça va, mon fieu, on va t'éprouver : tu connais le trou du biniou au Stérou ?
- Pour ça oui : j'ai assez été là quand j'étais gosse!
- Et sais-tu pourquoi on l'appelle ainsi ?
- Dam!Je l'ai su, pour sûr, Père Kerroc'h, mais j'ai tant <<bourlingué>>sur la <<Grande>>depuis que j'ai quasiment oublié.
- Eh bien! Voilà! Un jour, il y a de cela longtemps, il y avait eu une grande noce à Saint Nicolas de Priziac, une noce comme on n'en voit plus et dam! Il y avait eu bombance et toute la soirée le biniou avait fait danser des ridées et des gavottes par les filles et les gars ; ce qui, vous le pensez bien tous, avait quelque peu desséché le gosier du sonneur. Aussi entre chaque danse se versait-il un peu de <gwin ardent>>, sans quoi<< il n'y avait pas moyen de moyenner>> qu'il disait. Aussi, quand il fallut partir, il avait quasiment perdu la tête et ne pouvait trouvé son chemin. A tout hasard, il se lança à travers les landes, en trébuchant sans cesse. Tout à coup, il entendit de l'eau qui roulait sur les rochers. Santez barban ! C'était le ruisseau du pont rouge, il fallait veiller Et il faisait noir comme dans un four. A tout hasard, il s'y risqua. Hélas ! Ce fut le mauvais chemin qu'il prit. Tout à coup la terre se mit à fuir sous ses pas, des cailloux se détachèrent et le pauvre sonneur tomba de vingt mètres de haut dans le torrent. L'<<Ankou>> l'avait saisi pour toujours.
Eh bien ! Hervé je parie, moi, tout ce que tu voudras, que tn n'iras pas la nuit des morts, au Stérou, appeler l'âme du pauvre biniou ?
- Ah ! Ah ! Elle est bonne celle-là. Mais j'ai rappeler tous les binious que vous voudrez, moi, et la nuit des morts encore, père Kerroc'h
- <<Santez Barban béniget>> gémit la vieille Annan Pergoz, éffrayée de tant d'audace
- Alors, c'est conclu ? demanda le vieux Ian Kerroc'h.
-Eh oui !<<a galon vat>> dit Hervé en riant.
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Hervé Moëlan aurait préféré un temps plus clair pour aller au Trou du Biniou, mais, hélas, la pluie tombait dru, le vent gémissait dans les arbres, grondait dans la vallée de l'Ellée ou venait mourir en pleurant sur les portes disjointes des étables comme s'il eut été le messager des morts qui demandaient des prières.
Tout le hameau voulait voir Hervé partir, serait-il ? Quelque moins assuré que le soir du pari, Hervé s'en alla gouailleur, son pen-baz à la main.
<<Kenavo ha beiaj mat d'oh!>> lui cria le vieux Kerroc'h
<<Santez Anna ! Santez barban>> répondit la vieille Annan
Et Hervé s'en fut par la lande, sous la pluie qui lui cinglait la figure. Le vent gémissait toujours lugubrement tordant les chênes rabougris et sifflants dans les grands sapins.
A ce moment le glas des morts monta des clochers vers le ciel gris, comme une plainte douloureuse : <<Miserere nobis, miserere nobis !>> Hervé croyait entendre la plainte monter des limbes vers Dieu. Et il reconnut les cloche des environs : le lourd bourdons sonores du Faouët, les deux grosses cloches de saint-fiacre, celles de saint nicolas, de Saint Malo, et, aussi,celle de Sainte Barbe qui semblait venir d'en haut.
Alors Hervé se mit à regretter son pari. Dieu, que cela était triste.Mais... Qu'est ce donc... ? On dirait qu'une plainte est sorti du fond de la lande, une plainte de damné. Mais, non, c'est le vent, <<le Gornog>> qui pleure.Cependant, Hervé se signe et murmure : <<Doue du bardono an inean ! >> Mais, non, ce n'est pas le vent ! Hervé vient d'entendre un autre cri, plus proche celui-là. Et dans la fureur de la tempête il perçoit maintenant le ruisseau qui dégringole des rochers dans le Trou du Biniou. La peur le prend. Ah ! S'il pouvait revenir sur ses pas. Mais non, on se moquerait de lui au village; Et puis... que diable ! Il est un homme. Il en a vu de bien plus dur quand il naviguait.Il se rappelle toujours un soir, au large de la Corogne, où le ciel semblait vouloir s'engloutir dans las flots. Ah ! qu'était la tempête de cette nuit à côté de cela ! Et Hervé tente de se remonter ; mais la peur est là. Le breton est brave et intrépide dans sa lutte contre les éléments, mais se démoralise vite quand on s'attaque au mystérieux, à l'inconnu ; il est l'héritier des terreurs et des légendes des ancêtres.
Tout à coup, Hervé Moëlan sentit son sang se glacer. Le son d'un biniou venait de se faire entendre du haut des rocs du Stérou. Ce n'était pas une danse qu'il rythmait, c'était une plainte affreuse, un chant de mort qui montait vers les nuages noirs. Plus de doute, c'était le sonneur noyé qui revenait cette nuit sur la lande pour demander des prières. Et le fantôme venait à lui.Il l'entendait maintenant distinctement.Tout à coup, la plainte s'évanouit et le sonneur entonna une gavotte. Mais une gavotte comme jamais oreille humaine n'entendit, une gavotte endiablée, satanique ; une danse vomie de l'enfer.
Hervé tomba à genoux, ne pouvant fuir, ni avancer ; la peur le clouait à terre. Mais ce n'était pas tout. Horreur ! Autour du sonneur, Hervé entendait distinctement une jeunesse danser la gavotte infernale. Il entendait les sabots s'entrechoquer. Plus de doute : les âmes de la noce de Saint Nicolas de Priziac s'étaient rendues sur la lande à l'appel du sonneur.
Alors Hervé sentit sa tête tourner, ses jambes flageolèrent et il tomba sur la terre en se signant.
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Quand le soleil se leva le lendemain sur la lande, Jobic Goasdu, le vieux pâtre trouva Hervé Moëlan étendu entre deux bouquets de Bruyère.
-<<Petra e hret asé, pautreg ?>>
Alors, Hervé, sortant d'un rêve, s'écria terrifié:
<< J'ai vu cette nuit le sonneur du Trou du Biniou faire danser toute une noce de revenants sur la lande>>
Et le vieux pâtre se mit à rire.
Moris Er Gwen